Le ciblage de linflation au Maroc? Regards sur la nouvelle loi n° 40.17 portant statut de Bank Al-Maghrib

Lhoussein Baouzil
2019 / 6 / 15

La Banque centrale marocaine (Bank Al-Maghrib) se prépare depuis presque une décennie pour faire évoluer son cadre de gestion de la politique monétaire du régime basé sur l’ancrage nominal au régime basé sur le ciblage de l’inflation. Il s’agit d’un cadre de conduite de la politique monétaire que Bank Al-Maghrib (BAM) envisage de mettre en œuvre en raison des résultats encourageants en matière de lutte contre l’inflation réalisés par les pays ayant adopté ce régime à partir des années 1990. L’adoption de ce nouveau cadre de politique monétaire nécessite par ailleurs des conditions que l’économie devrait réunir pour que sa mise en œuvre soit réussie.

Nous proposons dans ce papier de restreindre notre analyse aux seules conditions, d’ordre purement monétaire, concernant -dir-ectement la Banque centrale. Il s’agit des conditions ou de ce que les spécialistes du ciblage de l’inflation appellent les pré-requis qui ont trait à l’indépendance, à la transparence et à la crédibilité de la Banque centrale. Ces trois critères fondamentaux sur lesquels repose le régime du ciblage d’inflation imposent aux autorités monétaires la mise en œuvre des réformes juridiques profondes avant l’adoption effective de ce régime. En visant cet objectif, le Maroc s’est engagé, durant les dernières années, dans un processus de réformes intéressant les domaines de la gestion du taux de change, de la fiscalité, du code de l’investissement -;- et plus récemment une réforme du statut de la Banque centrale a été aussi initiée.

1- Réforme du statut de Bank Al-Maghrib

La chambre des représentants a adopté, à la majorité, le mardi 11 juin 2019 la loi n° 40.17 portant statut de Bank Al-Maghrib et ce après une deuxième lecture de ce texte qui a, pendant longtemps, trainé dans les rouages des deux chambres composant le parlement marocain. Il s’agit d’une nouvelle loi qui remplacera après sa publication dans le bulletin officiel, l’ancienne loi de 2006 qui souffre de plusieurs lacunes et insuffisances notamment par rapport à la précision de la mission de la Bank Al-Maghrib ainsi que par rapport à son indépendance vis-à-vis du gouvernement.
Dans ce qui suit, nous proposons d’examiner ce texte par rapport aux exigences du régime de ciblage de l’inflation -;- régime que Bank Al-Maghrib envisage d’adopter très prochainement. Il s’agit en fait de vérifier le degré d’indépendance que le législateur a confié à la Banque pour exercer sa mission de stabilité des prix sans être influencée par le gouvernement ou par toute autre institution. En vue de bien éclairer le degré d’indépendance de l’institution d’émission marocaine, il est judicieux d’analyser la composition du conseil de la Banque : son organe de décision. Dans ce cadre, on propose de reprendre les dispositions de l’article 26 de cette loi qui stipulent que le conseil de la Banque est composé de :
-Le wali (gouverneur) de la Banque -;-
-Le représentant du gouvernement (il ne participe pas au vote) -;-
-06 membres nommés par le chef du gouvernement dont trois sur proposition du Wali de la Banque.
-Les décisions sont prisent à la majorité.

Nous constatons d’ores et déjà que cet article n’a pas été soumis à des modifications profondes, il a été intégralement repris malgré le fait qu’il a été tellement critiqué dans la loi de 2006! Il s’agit d’un article qui garantit la mainmise du gouvernement sur la Banque centrale marocaine. En effet, le pouvoir de nomination des 03 membres que propose le Wali de la Banque a été confié au chef du gouvernement ce qui place ce dernier dans une position qui lui permettrait d’influer sur les choix à lui soumettre pour validation. Le législateur aurait dû prévoir la nomination de ces 03 membres au niveau du conseil des ministres que préside le chef de l’Etat et ce afin de réduire la pression que pourrait exercer le gouvernement sur le Wali de la Banque centrale.

En réalité, il suffit de revenir à la note de cadrage accompagnant la présentation du projet de la nouvelle loi devant le parlement, pour comprendre l’hésitation du législateur en matière de pre-script-ion de dispositions juridiques à même de garantir une véritable indépendance de l’institution d’émission. La note précise que le projet de loi vise "le renforcement de l’indépendance de BAM" -;- relatant que la recherche d’une indépendance totale de cette institution n’est pas encore considérée comme la finalité de toute réforme du statut de BAM. D’ailleurs, le fait de prévoir dans l’article 13 que la Banque centrale ne doit pas recevoir ou solliciter des instructions auprès du gouvernement n’a pas été consolidé par des mesures de sanctions en cas de violation de dispositions de cet article. Il en ressort alors que la nouvelle loi portant statut de la Banque centrale marocaine ne garantit pas l’indépendance légale tellement exigée pour la mise en œuvre du régime de ciblage de l’inflation. En réalité, cette indépendance dont parle le nouveau texte est tributaire à l’équilibre des forces entre le gouvernement et Bank Al Maghrib. Un gouvernement fortement soutenu politiquement pourrait contraindre la Banque centrale à mener une politique monétaire que la Banque ne souhaite pas conduire notamment à la proche des échéances de renouvellement des membres de son conseil dont la nomination revient, comme nous l’avons déjà signalé, au chef du gouvernement.

Par ailleurs, la nouvelle loi a bien explicité l’objectif principal de BAM, en précisant que l’institution d’émission doit veiller à la stabilité des prix. Sur ce point, l’exigence du régime de ciblage de l’inflation a bien été prise en considération. D’ailleurs, ce régime exige que la banque centrale ne doive pas suivre plusieurs objectifs -;- son seul mandat devrait être la stabilité des prix. Ainsi, le législateur marocain a fait évoluer le cadre juridique lié à la fixation des objectifs que BAM doit suivre en délaissant la poursuite de l’objectif de stabilité de la production pour se focaliser exclusivement sur l’objectif de la stabilité des prix. Il s’agit d’une véritable avancée comparativement à la législation de 2006 qui oblige le Wali (gouverneur) de BAM à se concerter avec le représentant du gouvernement lors de la fixation de l’objectif de stabilité de prix à poursuivre. Toutefois, d’autres dispositions de la nouvelle loi pourraient être instrumentalisées par le pouvoir politique pour influer sur les décisions de la Banque centrale marocaine. Il s’agit à titre illustratif de la disposition explicite qui précise que la banque centrale doit arrêter et conduire sa politique monétaire dans le cadre global de la politique économique et financière du gouvernement. Certes, il est inconcevable que la Banque centrale travaille en isolement des préoccupations du gouvernement, néanmoins la collaboration de ces deux acteurs doit être encadrée par des mécanismes juridiques bien explicites pour empêcher le gouvernement de prendre des mesures qui nuiraient à l’objectif de stabilité des prix poursuivit par l’institution d’émission notamment lors des années d’organisation des échéances électorales.

2- La démarche boiteuse

Malgré l’élargissement des missions de la BAM que permet cette nouvelle loi, la démarche adoptée pour réformer ses statuts demeure très prudente montrant l’absence d’une véritable volonté des partis politiques actuellement aux commandes du gouvernement pour produire une loi plus résolue susceptible d’apporter un saut en matière du renforcement de l’indépendance de cette institution. On pourrait suggérer que l’hétérogénéité de la coalition gouvernementale serait à l’origine de cette prudence empêchant par-là même la formulation de propositions juridiques audacieuses relatives au degré d’indépendance à accorder à la Banque centrale.
Par ailleurs, l’examen de ce texte de loi fait ressortir que le volet de la communication n’a pas été grandement renforcé. Les outils habituels de communication sont maintenus, alors que le passage au régime de ciblage de l’inflation exige la multiplication des procédés d’information du public étant donné que l’ancrage des anticipations des agents économique comme étant le socle pour atteindre la cible visée ne peut être réalisé qu’en recourant à une communication permanente et crédible.

En outre, le nouveau texte a bien pris en considération les nouveaux acteurs de financement introduits dans le marché marocain, en l’occurrence les banques offrant des produits relevant de ce qui est arbitrairement appelée "la finance islamique" -;- néanmoins aucun représentant des instances religieuses n’a été proposé pour siéger au conseil de la Banque centrale afin d’apporter des solutions "religieuses" aux dérapages qui seront soulevés par le développement des activités de ces banques.

Enfin, la lecture de ce nouveau texte de loi portant statut de Bank Al-Maghrib a permis de constater des avancées en matière de l’explicitement de l’objectif de stabilité de prix qui incombe désormais aux seuls responsables de la banque sans aucune concertation avec le gouvernement. Toutefois, le texte n’a pas été poussé très en avant notamment par rapport au volet de l’indépendance de la Banque centrale qui constitue l’élément fondamental pour la conduite d’une politique monétaire dans un régime de ciblage de l’inflation. En effet, une banque non totalement indépendante risque d’être influencer par le gouvernement ce qui réduira sa capacité à mettre en œuvre une politique monétaire crédible pour mieux ancrer les anticipations des agents économiques.




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